top of page

Think pink

05/02/2018

« Think pink ! » chante Kay Thompson en 1957 dans « Funny face ». Elle semble ainsi trouver la solution à tous ses problèmes, et entraîne une euphorie générale. Tout doit devenir rose, cela devient un mode de vie et de pensée. En effet, le rose est une couleur forte dans la variété de ses teintes et de ses symboliques. Des grands aplats rehaussés de détails roses plus profonds, à de réels travaux de broderies, en passant par des jeux de formes géométriques qui s'opposent ou s'harmonisent, notre sélection de textiles du Musée met au jour cette diversité liée à la couleur rose. Totalement aveuglés par les mœurs modernes, nous avons du mal à imaginer que le rose était une couleur considérée comme virile au Moyen-Âge et à la Renaissance. Sa nouvelle dimension est arrivée au XVIIIe siècle, lorsque la marquise de Pompadour se l'est réapproprié.

​

Le XXe siècle va marquer la sexualisation de cette couleur, à travers le vichy de Brigitte Bardot en couverture de Elle (août 1953), les tenues « Shocking pink » ultra-sexy de Marilyn Monroe et le célèbre tailleur Chanel rose de Jackie Kennedy. En mettant en scène un trio de fashionistas dictant leurs propres règles de style notamment « On wednesday, we wear pink », la comédie américaine « Mean girls » (2005) se joue des clichés du rose en l'associant à des filles détestables.

Depuis, les créateurs se sont réappropriés cette couleur, notamment l'américain Jérémy Scott, qui nous a surpris lors de son défilé Moschino de l'été 2015, où il donna vie à de réelles poupées Barbie dans un show moqueur et pop. Se jouant ainsi du stéréotype de la Barbie blonde au look 100% rose, il questionne aussi la mode à travers des vêtements à l'aspect cheap.

La marque de lingerie Victoria Secret a créé il y a quinze ans sa ligne « Pink », adressées aux plus jeunes filles. La marque joue ainsi des stéréotypes dans un but purement commercial et va jusqu'à infantiliser la couleur. Des artistes questionnent ces stratégies marketing fondées par les entreprises, et la manière dont celles-ci forgent nos identités de femmes. Avec ses « Pink project », l'artiste américaine Portia Munson use du rose de manière presque hypnotisante, notamment dans la première œuvre de la série, une table rose recouverte de centaines d'objets formant un camaïeu de roses. En se rapprochant, on remarque que les objets sont tous liés à la féminité (accessoires à cheveux, tampons, ustensiles divers), métaphore de la société de consommation et des stéréotypes. Ainsi, de nombreuses campagnes féministes réutilisent cette couleur, notamment la lutte contre le cancer du sein, représentée par un nœud rose. En soutien, le designer Narciso Rodriguez et la marque de grande distribution Lindex se sont associés en 2010 autour d'une « Pink collection », dont 10% des revenus étaient reversés aux associations.

 

L'utilisation du terme « rose » était symbolique, car la collection était majoritairement noire, sobre. Les artistes ne sont pas en reste et se réapproprient régulièrement cette couleur car elle est richement connotée. L'artiste tchèque David Cerny s'est fait connaître en 1991, quand, en une nuit, il a entièrement recouvert de peinture rose un char militaire, institué sur une grande place de Prague pour commémorer sa libération par l'Armée rouge en 1945. Lui faisant ainsi perdre toute crédibilité, il visait à ridiculiser les symboles des monuments de guerre soviétiques, considérés comme une menace par la force pesant sur la population civile. Avec son « Lilicopter » (2012), l'artiste portugaise Joana Vasconcelos recouvre un réel hélicoptère de plumes roses, strass et feuilles d'or, l'installant au milieu de la salle 1830 du Château de Versailles. Entourée d'authentiques tableaux célébrant les révolutionnaires, l'œuvre est un pied de nez aux assemblées de femmes représentées en pleine admiration de leurs valeureux combattants. L'entière série installée à Versailles présente des œuvres pleines d'humour célébrant la Femme, qui interpellent dans ce haut lieu d'Histoire, de traditions et de pouvoir royal. Dans « The Grand Budapest Hotel » (2014), le réalisateur Wes Anderson se joue de la douceur de certaines tonalités de roses pour entraîner le spectateur dans son monde féérique, hypnotisant.

 

A force de réinterprétation de la couleur rose par des projets féministes, la couleur se détache de son stéréotype premier. Les hommes la portent de plus en plus : rappelons-nous le défilé Versace Homme SS15, dont les premières silhouettes furent des total look rose. Le XXIe siècle, l'avènement d'Internet et l'ouverture des esprits ont permis une réduction des frontières entre les genres, et le rose en est un bel exemple.

bottom of page