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Jeux de lignes

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Liberté, légèreté, soleil, plage, vacances… si la rayure est aujourd’hui un indémodable chic et décontractée à la fois de nos dressings, le motif n’a pas  toujours eu une très bonne connotation à travers l’histoire.

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Dès le Moyen-Age, la rayure a été souvent associée à des notions péjoratives comme la malédiction, la perversion comme nous l’explique Michel Pastoureau dans son ouvrage « L’Etoffe du Diable ». On apprend dans ce livre que la rayure n’est pas la seule à qui on attribue une signification particulière : au Moyen-Age chaque surface est associée à une connotation positive ou négative très précise. La rayure doit cette piètre réputation au diable souvent représenté en habit rayé à cette époque. Dès lors, le port de ce motif est signe d’exclusion sociale et est réservé aux marginaux comme les bagnards, les prostituées, les hérétiques ou encore les lépreux… Anecdote surprenante de l’œuvre : le zèbre était considéré comme l’animal le plus diabolique du fait de son pelage rayé.

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A partir du XVIIIe et le siècle des Lumières, la tendance commence à s’inverser pour la rayure. Les esclaves noirs, eux aussi jusqu’ici toujours représentés en habits rayés en signe d’asservissement et d’exotisme, commencent à connoter une certaine aspiration à la liberté. Idée qui peut être appuyée par la révolution américaine qui utilisera les fameuses « stripes » suivie de la Révolution Française de 1789 durant laquelle la rayure est omniprésente sur les drapeaux et sur la célèbre cocarde tricolore. La rayure est alors signe de liberté, de changement et de renouveau. En France, quiconque portant une cocarde autre que la tricolore était même passible de sanctions. Le XVIIIe est le siècle où la mode des rayures finit par exploser : on en retrouve sur le mobilier, les vêtements, sur les tentes d’intérieurs et même jusque sur les murs sous forme de tapisseries. Le philosophe et mathématicien Buffon réhabilitera même l’image du zèbre que le siècle des Lumières qualifie désormais comme étant un cheval blanc à rayures noires qui serait le plus bel animal.

15/01/2018

Au XIXe siècle, la rayure sera associée à la notion d’hygiène lançant alors la mode des sous-vêtements rayés. C’est en effet en partie la rayure qui a démocratisé l’utilisation de la couleur pour les vêtements de dessous et autres pièces qui touchaient directement le corps (chemises, braies, draps…) car autrefois il était tout simplement inconcevable que ces habits soient d’une autre couleur que le blanc, couleur symbolisant la propreté. C’est au cours du même siècle que se développe tout un imaginaire autour de l’uniforme marin, des voyages et l’attrait pour un ailleurs exotique. Ce sont ces idées-là qui se rapprochent de l’image actuelle que nous avons de la rayure un imprimé qui sent bon les vacances, l’iode de la mer et qui nous renvoie à un chic décontracté associée à la saison estivale…

Mais la rayure est également reconnue pour son effet « trompe l’œil » : sur les textiles elle allonge la silhouette ou l’élargit selon son inclination. L’épaisseur de la ligne joue également sur notre perception, la ligne épaisse tasse et augmente le volume tandis que la ligne fine donne une impression de longueur et de finesse accrues.

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Cet effet trompe-l’œil a fait l’objet de courants artistiques comme l’op-art et des artistes contemporains continuent à explorer le potentiel de création d’illusion de la rayure. Récemment c’est l’exposition « Bifurcations » de l’artiste Julio le Parc au Perrotin qui nous a inspiré… L’artiste ne se lasse d’utiliser l’espace, les surfaces, les caractéristiques des différents matériaux qu’il emploie pour surprendre et parfois même tromper les sens de ses spectateurs. Dans cette dernière exposition il mêle le virtuel à son travail sur la bifurcation des lignes, des formes, des matières, des lumières… afin de permettre une immersion totale du spectateur dans cet univers énigmatique où on ne sait pas où l’œuvre se commence et se finit, si les lignes se nouent et se dénouent ou si l’ensemble n’est qu’une savante illusion de l’artiste.

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Contrairement à l’op art où la rayure offre des possibilités infinies, la rayure et la ligne renvoient également à des indications très concrètes et rationnelles dans le domaine des sciences dures (graphiques, géométrie…). Très utilisée en matière de signalétique, elle indique des informations précises comme les interdictions partielles et totales dans le cadre du code de la route (zébras, lignes stop, autorisation de dépassement…).

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On remarque que la rayure a porté des symboliques très différentes selon les époques et encore aujourd’hui porte en elle des connotations paradoxales, entre chic et décontracté, entre illusions et rationnel… Elle a cependant conservé sa caractéristique de toujours : celle d’être reconnaissable parmi tous.

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